Galerie Noël Guyomarc’h: un écrin breton dans le Mile End

Par Daisy Le Corre, pour Maudits Français, 26 juin 2017.

D’origine bretonne, Noël Guyomarc’h fait partie de ces (nombreux) Français qui ont eu un coup de foudre pour Montréal et qui y sont restés. Cela fait maintenant 30 ans qu’il savoure sa chance d’être ici tout en se forgeant une réputation à l’international depuis sa galerie montréalaise spécialisée en bijoux contemporains, l’une des seules au Canada.

En France, dans les années 80, Noël se destinait à travailler à Paris dans l’administration avec des horaires de bureau normaux et un salaire mensuel stable. “J’aimais la ville et l’intensité culturelle de Paris mais je trouvais ça très difficile d’y vivre surtout au niveau social, c’était difficile de créer des liens avec les gens”, confie celui qui, en attendant d’être fonctionnaire, avait aussi testé la vie de serveur dans quelques cafés/bars parisiens. Un détail qui compte puisque c’est au café Costes à Paris que Montréal lui est apparue, ou presque.

“C’est là que j’ai rencontré des Québécois qui étaient étonnés que je leur apporte vraiment ce qu’ils avaient commandé. À Paris, ils avaient l’habitude qu’on leur apporte autre chose à cause de leur accent… Moi je les avais compris! On a très vite sympathisé”, plaisante Noël qui a ensuite été invité à venir passer 15 jours à Montréal. En 1986, il part donc en vacances à Montréal et ne sait pas encore qu’il s’apprête à débuter une longue histoire d’amour avec le Québec. “J’ai eu un coup de foudre pour les gens avant tout, je me suis senti très très confortable tout de suite! Il y avait une certaine franchise dans la communication que j’aimais beaucoup. Montréal a été un pont entre Paris et la Bretagne, j’y ai trouvé mon équilibre”, confie le Breton qui a décidé d’y rester et dont la vie a pris un tournant décisif.

“J’ai eu un coup de coeur pour le domaine du bijou, c’est grâce à des rencontres à Montréal que je suis devenu ce que je suis maintenant. Je n’aurais jamais fait ça en France!”, raconte le directeur de galerie qui ne s’intéressait absolument pas aux bijoux avant d’arriver au Canada et qui a été initié par sa colocataire de l’époque qui lui avait demandé de vendre les bijoux qu’elle créait. De fil en aiguilles, tout s’est enchaîné. “J’ai ensuite été vendeur dans une bijouterie pendant 5 ans! On présentait différents types de bijoux mais c’est comme ça que je me suis initié.“

© Carme Roher, broche Negra nit, 2016 Maillechort, résine, cuivre
 © Carme Roher, broche Negra nit, 2016 Maillechort, résine, cuivre

L’élément déclencheur qui l’a convaincu de se lancer en solo? Une rencontre avec des créateurs et une pièce en particulier de Barbara Stutman: un bracelet en tube rose crocheté qui faisait partie d’un groupe de travail “Portraits de femmes”. “Ça devenait très figuratif, ça m’a donné des idées et des envies! J’ai pris des cours et je me suis vite rendu compte que j’avais des idées de créations mais que je n’avais pas la patience de fabriquer/de limer/de souder des bijoux”, explique simplement Noël qui s’est alors donné comme mission principale de débrider l’imagination des créateurs et d’en être leur porte-parole mais également leur vitrine.

“On est dans une société de consommation abusive, on consomme tous la même chose en passant à côté d’objets qui méritent pourtant d’être connus. On se brime de faire les choses de manière plus expressive, pourtant il y a un marché qui existe mais on ne le propose jamais, alors je me donne comme mandat de le faire”, confie le Finistérien qui offre aux créateurs l’opportunité de faire ce qu’ils ont envie. Le luxe à l’état brut.

Après avoir été soutenu par le SAJE pour son projet d’entreprise, il a continué à travaillé dans une crêperie pendant 6 ans pour assurer ses fins de mois. “Je travaillais 7 jours sur 7, j’étais overbooké mais pas malheureux. Dans ma vie personnelle, j’ai été très chanceux d’avoir rencontré un partenaire qui m’a toujours soutenu malgré les difficultés”, confie Noël qui a maintenant pris son envol mais qui n’est pas “tranquille” pour autant et qui ne cherche pas à l’être. “J’ai besoin que ça bouge. Je cherche toujours ce qui peut créer une différence, à aller plus loin dans ce que je peux présenter. J’ai besoin d’être déstabilisé, je n’arrive pas à être confortable: je prends des risques parce que je veux me garder éveillé.”

© Xus Anglès, 2016 broche 41°10′26,8″ N 1°12′16,3″ E, Science / Fiction – CF1 Cuivre, argent, émail efcolor
 © Xus Anglès, 2016 broche 41°10′26,8″ N 1°12′16,3″ E, Science / Fiction – CF1 Cuivre, argent, émail efcolor

Ouvert et accueillant aux nouvelles collaborations, Noël Guyomarc’h n’en est pas moins pointilleux et cela se sait à l’international. “J’ai un côté très social mais ça ne veut pas dire que je vais travailler avec tout le monde, au contraire. Je fais des choix qui sont toujours très audacieux au niveau de la forme, des matériaux, du contenu. C’est comme ça que j’ai établi un respect à l’international, je crois”, estime le directeur qui abrite actuellement 70 créateurs dans sa galerie et qui voit le bijou comme une oeuvre d’art. “C’est important de savoir qu’il y a quelque chose derrière la pièce qu’on regarde, qu’il y a une idée et un concept. Il faut que le tout soit cohérent ensemble. Le but ce n’est pas de faire une pièce exceptionnelle et de s’arrêter là, il faut que ça se tienne.”

Sa sensibilité européenne c’est au niveau de l’esthétisme qu’il estime qu’elle est la plus présente: dans le résultat final de la pièce et dans l’exigence au niveau de l’exécution. “Aux États-Unis par exemple, c’est parfois un peu plus lourd, ils veulent dire beaucoup de choses dans ce qu’ils créent au lieu d’épurer”, avoue Noël qui apprécie les créations des frères Bouroullec et particulièrement celles de la marque de vêtements Comme des garçons. “C’est hallucinant cette audace avec le corps qui est au centre de leurs créations, ça rejoint énormément ce qu’on fait avec le bijou.”

Fier de son parcours, Noël ne regrette rien ou presque: que son art ne soit pas encore assez diffusé auprès du grand public. Si, comme d’autres artistes spécialisés en bijoux contemporains, son travail a de beaux échos à l’international, il passe encore souvent inaperçu ici. “C’est vrai que Montréal est une ville idéale pour les créateurs, c’est facile d’y côtoyer des gens dans le milieu. Mais ce qui manque le plus c’est la diffusion et la réception auprès du public. Il y a un gros travail d’éducation à faire! Moi et d’autres galeries comme La Centrale par exemple, sommes là pour aider les gens à comprendre ce qui se passe, c’est important”, confie l’artiste avant de rappeler que le bijou est le seul objet d’art qu’on peut porter et partager à l’autre directement. “C’est aussi et surtout un objet de communication.”